Colloque « transition écologique » - Synthèse des travaux de la journée Paris, 5 décembre 2017

Un appel à une coopération étendue entre la France la Chine pour la transition écologique et, au-delà, pour l’avènement de la civilisation écologique, comme le Président Ji Xin Ping en a formulé le projet ; c’est ainsi que Monsieur Guan JIAN - Ministre de l'Ambassade de la République Populaire de Chine en France , représentant l’ambassade de Chine en France, a ouvert le colloque du 5 décembre, consacré à la coopération franco-chinoise pour la transition écologique, et c’est dans cet esprit que les experts chinois et français qui ont participé à ce premier colloque ont présenté leurs analyses, débattu et échangé leurs points de vue tout au long de la journée. Si la Chine et la France ne sont pas au même niveau de développement, si les cadres économiques, culturels et sociaux, mais aussi démographiques, géographiques et climatiques, sont bien différents, les points d’interrogation demeurent les mêmes ; comment concevoir, financer, mettre en œuvre les transformations qui rendront possible la civilisation écologique ? Comment réaliser la transition des grandes fonctions collectives que sont habiter, se déplacer, se nourrir, respirer, travailler, se divertir, du plus vers le mieux ? Et plus encore, comment sauvegarder cette beauté de la nature, dont chaque élément n’a pas de prix, parce qu’il est notre trésor à tous ?

Dès la première table ronde, l’ambition était clairement indiquée. Le monde s’est mis en route. Devant la gravité des problèmes auxquels l’humanité toute entière est confrontée, il ne s’agit plus de réduire certaines activités, certaines consommations ; il s’agit de les transformer. La voiture électrique fournit l’exemple remarquable d’une transformation qui fait de l’automobile une extension mutante du réseau électrique ! Le redéveloppement du transport ferroviaire, très économe en énergie, tel que le projet OBOR lui fait une large place, pourrait fournir un exemple en ce sens et redessiner la carte des grandes voies de communication, en rendant aux voies transcontinentales la place que le prix artificiellement bas du transport maritime leur a fait perdre.

En ce sens, la transition est engagée. En ce sens aussi, la transition ne concerne pas tel ou tel sujet isolément, elle est systémique, et elle ne sera pas si elle n’est pas globale, intégrant des innovations techniques bien sûr, mais tout autant de nouvelles incitations économiques, et des politiques résolues, capables de changer les préférences collectives, par exemple en termes de transport et d’alimentation. L’exemple de l’Union européenne, qui a mis en place une politique d’ouverture à la concurrence dans le domaine de l’énergie, sans que le consommateur ait un pouvoir sur les prix, l’exemple de l’Allemagne, qui n’est sortie du nucléaire que pour avoir recours au charbon, en raison d’un prix trop faible de la tonne de CO2, est là pour le prouver ; il n’y a pas de politique idéale en matière d’énergie, le modèle de calcul des prix peut fausser le système ; par absence de vision stratégique, les meilleures intentions peuvent aboutir aux pires effets ; entre réseaux interconnectés, le défaut de coopération et de concertation peut aboutir au pire.

Ces exigences s’appliquent tout aussi bien, et fortement, à d’autres domaines, notamment celui de l’alimentation et celui de l’eau comme celui du traitement des déchets. Transition, transformation, mutation, désignent la réalité de ce qui s’accomplit en ce moment. Transformation des déchets en ressource, et notamment en source d’énergie, l’exemple de réalisations de Suez en ce domaine est bien celui d’une mutation en cours, dans le cadre de l’économie circulaire, cette économique qui est une composante essentielle de la civilisation écologique. Transformation aussi des stations d’épuration en sites énergétiques ! Transformation tout aussi radicale de l’usage des terres, qui renvoie au fondement énergétique de la croissance végétale, et qui va conduire à considérer le potentiel énergétique de la biomasse, ou de tel ou tel système végétal, comme une ressource mobilisable à travers la biomasse aussi bien qu’à travers des fermes solaires ou encore la récupération du méthane. Les scénarios « Afterre 2015 » fournissent à cet égard une solide base de prospective et de définition de politiques publiques en matière de transformation des goûts et des préférences alimentaires, un sujet qui ne pourra plus être différé, pas plus que celui de la transformation des pratiques de la mobilité urbaine, péri-urbaine et de longue distance.

Voilà qui met en jeu l’ensemble du système « loger-manger-se déplacer-travailler » tel qu’il a résulté de la société industrielle, voilà aussi ce qui nous conduit à définir le pensable et le croyable de demain, pour les faire advenir le plus efficacement possible.

La seconde table ronde a permis d’apprécier comment l’expertise chinoise a obtenu des résultats significatifs. M. Li Kexun a expliqué que la municipalité de Tianjin a réalisé une montée en gamme de ses industries en se tournant vers les nouveaux secteurs comme l’informatique, l’aéronautique, les nouvelles énergies et la pharmacie, en limitant les émissions de CO2. Tianjin a également su modifier son mix énergétique en réduisant considérablement la part du charbon et s’est fixé des objectifs ambitieux pour l’utilisation des énergies renouvelables. Souffrant régulièrement de pénuries d’eau, la ville s’est engagée dans le traitement des eaux usées, le recyclage de l’eau, la désalinisation des eaux de mer et la récupération des eaux de pluie. L’ensemble fait système et peut illustrer la démarche d’innovation qui, bien loin de se contenter de gadgets connectés, tend à diffuser l’intelligence écologique dans la ville, mais surtout, à développer l’intelligence territoriale dans l’organisation des espaces d’habitation, de travail, de loisirs et de commerce, dans le but de maximiser les avantages de leur réunion tout en limitant les handicaps de la concentration urbaine.

La Chine et la France peuvent trouver un grand intérêt mutuel à partager de telles expériences. Ces éléments, comme l’analyse des pratiques culturales et le retour critique sur l’exode rural massif qui livre les campagnes à l’exploitation industrielle, augmente les rendements pendant une courte période mais épuise rapidement les sols et fait naître des villes géantes, sans les infrastructures correspondantes, appellent un constat partagé ; la transition écologique est aussi faite d’une transition territoriale qui organise l’espace selon des critères transformés, qui fasse appel à de nouvelles techniques, et qui prenne en compte de nouvelles aspirations. Non seulement la proximité avec la nature, mais la capacité d’autosuffisance alimentaire, mais la place laissée aux systèmes vivants, eau, végétation, animaux, mais aussi l’accès du plus grand nombre à la beauté du monde. En définitive, il s’agit bien de réaffirmer la primauté des biens communs sur les choses qui s’achètent et se vendent ; jamais un coucher de soleil, jamais, une source jaillissante, jamais non plus l’émotion devant une fleur, un beau fruit, un légume savoureux, ne seront produits au terme d’un processus industriel et vendus sur un marché selon l’offre et la demande.

Ce constat s’applique particulièrement à l’agriculture, activité fondatrice de l’habitat et du progrès humain s’il en est, activité qui ne peut se résumer sans se détruire à des rendements, des retours sur investissement, des revenus. La méconnaissance de la nature des métiers et des fonctions, au profit d’une approche par les nombres, est caractéristique d’un monde qui peut se détruire par les critères, les modèles et les systèmes qui lui ont permis de renforcer, et dont la poursuite sans fin peut être aujourd’hui la plus grande menace qui pèse sur lui. Comme l’avait prédit l’un des fondateurs de l’écologie politique Erik Schumacher, « small is beautiful » ; cela signifie que l’action au niveau local, que l’appropriation de la transition par le niveau le plus proche du terrain et de la vie est une urgente nécessité.

Voilà ce qui pose la question de la gouvernance et des leviers du succès de la transition écologique. Quand la beauté, la vie et la diversité sont en jeu, nous ne pouvons- nous permettre d’échouer ; car « la nature vaut son pesant d’or » a déclaré le Président Xi Jin Ping, que Mme Zhou Qian, avant de citer trois exemples de transition réussie de trois villes chinoises : Datong, ville charbonnière qui s’est transformée en un modèle de qualité de l’air Anji, où les carrières de calcaire étaient nombreuses et qui est devenue aujourd’hui une destination touristique pittoresque et très attractive et Kubuqi, en Mongolie intérieure, qui lutte ingénieusement contre la désertification. Mme Zhou a aussi expliqué comment la civilisation écologique émerge en Chine en passant par des concepts d’écologie qui se diffusent, qui sont enseignés et seront désormais bien ancrés dans les mentalités, par une innovation institutionnelle et réglementaire en faveur de l’environnement, et enfin par une participation collective pour mettre en œuvre cette civilisation.

Cette approche est très voisine de celle utilisée en France lors du « Grenelle de l’environnement », lancé en 2007, dont il est utile dix ans plus tard, de partager les leçons. Une volonté politique déterminée ; un partage des débats le plus large possible ; la participation organisée à la fois de l’exécutif, des élus territoriaux, des entreprises et des associations représentatives des défenseurs de l’environnement, tous appuyés par des experts ; une méthode rigoureuse de conduite des débats et partage des engagements, sont autant de clés d’une transition réussie. Voilà qui permet d’évoquer un Grenelle européen, pourquoi pas eurasiatique ; car le temps presse, et nous pouvons nous trouver face à des échéances géopolitiques pressantes. De la montée des eaux qui provoque déjà des mouvements de population au Bangladesh et de la multiplication des incendies qui a saturé les capacités d’intervention des pays européens et américains du nord au cours de l’été 2017, jusqu’à la désertification des terres par excès de culture du coton, qui a déclenché la guerre en Syrie en 2011, les conséquences géopolitiques du dérèglement de la planète sont déjà là. Et elles illustrent avec éloquence ce dilemme proche ; face à l’urgence écologique, nous n’avons le choix qu’entre la coopération et la guerre. C’est pourquoi aussi il faut compléter la mobilisation collective, sur la base d’une prise de conscience et d’une volonté politique, et la recherche de l’innovation, en rendant désirable ce qui est nécessaire. La transition écologique peut être un sujet d’espoir économique, la civilisation écologique peut être un projet enthousiasmant pour le plus grand nombre. C’est ce que montre l’impact sur l’emploi du recours aux technologies vertes, dans l’énergie comme l’agriculture ou l’industrie. La recherche d’un certain degré d’autosuffisance, le retour au local, la substitution d’énergies sans carbone aux énergies fossiles, des moyens de la mobilité douce à l’automobile individuelle et la construction des infrastructures qui la facilitent, tout cela est créateur d’emplois, et d’emplois qui apportent du sens et une utilité réelle et reconnue ; des emplois qui servent la vie !

Voilà qui donne toute sa richesse et sa force à la vision de la civilisation écologique. A condition d’être pragmatique ; il n’y a pas de solution idéale, et chaque approche a ses limites. Rien n’est donné, et la question de la rentabilité de maintes solutions évoquées se pose. Rien n’est facile, et le changement des habitudes, plus encore, des intérêts en place, demande une volonté politique dont la condition est la prise de conscience de tous. Mais les promesses sont actuelles, et elles répondent à la plus grande inquiétude qui soit ; l’inquiétude pour la vie. Pour chaque communauté, la démarche de transition écologique annonce une nouvelle autonomie. Pour la Chine comme pour la France, civilisation écologique signifie l’effort concerté, partagé, dans le respect des histoires, des traditions, des cultures et de la souveraineté de chaque Nation, pour une coexistence pacifique. Elle signifie que le temps d’un ultralibéralisme qui réduit chaque chose, chaque être vivant, chaque parcelle de terre et chaque goutte deau à sa valeur de marché, est fini. Elle signifie le retour de ces biens communs dont le plus précieux est sans doute la beauté de la nature, la bienveillance de la terre et des eaux, et cette qualité suprême que l’harmonie de toutes les choses sous le ciel apporte à nos vies humaines.

C’est en ce sens que la coopération de la Chine et de la France dans le domaine de la transition écologique est aussi l’appel à une nouvelle civilisation mondiale, cette des civilisations de l’écologie humaine.

Hervé Juvin, pour Natpol drs*

Natpol drs *le respect de la Diversité des sociétés humaines est la clé de la Résilience des organisations et de la Sécurité des opérations.