La ferme familiale de Sainte Marthe en Sologne racontée par Philippe Desbrosses

Philippe Desbrosses

Philippe Desbrosses, scientifique, écrivain et pionnier de l’agriculture biologique en Europe, nous raconte dans cet entretien l'histoire de sa famille sur le domaine de Sainte Marthe en Sologne. Il nous livre également ses impressions sur le monde actuel, en particulier sur le contexte agricole. Face à un modèle agricole industriel absurde et destructeur auquel il s’oppose fermement. Il n’en demeure pas moins positif et enthousiaste pour l’avenir, car, après-tout, « Ne sommes-nous pas tous les cellules imaginales du système agricole ? ». La ferme Sainte Marthe en Sologne, dont il a hérité de son grand-père et de son père, dont l’histoire remonte à des temps plus lointains encore, n’a sûrement pas fini, à son échelle, d’écrire l’Histoire. Voyage au sein d’une belle alternative agricole...

 

Racontez-nous l’histoire de la Ferme familiale de Sainte Marthe

L’histoire de cette ferme remonte au Moyen-Âge et même au-delà, et de grands noms sont passés par la forêt emblématique qui l’entoure, la forêt de Bruadan. César au IVème siècle pour étouffer les aspirations révolutionnaires ; puis François Ier et Léonard de Vinci, qui y ont dressé les plans du château de Chambord... Dans cette ferme, on se trouve en quelque sorte au carrefour de l’Histoire, et j’ai trouvé parfois des objets fabuleux en y ramassant mes pommes de terre !

Du néolithique aux Moyen-Âge en passant par l’achat de la ferme par mes grands-parents au début du siècle dernier et à sa transmission à mes parents puis à moi-même, c’est un lieu qui a connu la vie et qui la perpétue avec le même esprit de rébellion !

 

Quel était votre projet en succédant à vos parents ?

Quand j’étais jeune, je suis passé une dizaine d’années par la voie du showbiz ; le travail à la ferme, comme pour beaucoup de jeunes de l’époque, ne m’attirait guère. C’est quand mes parents ont décidé, en véritables pionniers, de se convertir à l’agriculture biologique, que mon intérêt pour la question a fait un bond. Après quelques stages et formations en bio, j’ai embarqué dans l’aventure et voilà que je me retrouve, près de 50 ans plus tard, à l’origine de la naissance de mouvements bio ainsi que de la certification du label « AB ».

Ce qui a motivé mon parcours, c’est simplement que je me suis demandé comment faisaient nos ancêtres pour cultiver sans cet arsenal de produits chimiques. La réponse est apparue bien vite : avec des variétés rustiques ! Or, en les cherchant, je me suis rendu compte qu’elles avaient presque toutes disparues ! Il a fallu que j’en commande aux États-Unis auprès d’associations amérindiennes de Californie et d’Arizona principalement. J’ai commencé à les faire pousser, puis à parcourir les foires et salons, et suite à une publication dans un journal, j’ai eu des sacs et des sacs de courriers de personnes réclamant des graines ! De là est né le Catalogue de Sainte Marthe, et le reste a suivi...

 

Vous développez des formations microferme en bio. Quel est le profil des formés ?

Ce sont des personnes qui souhaitent changer de vie, quitter un système de salariat pour trouver une certaine autonomie. Depuis quelques temps, on note une fréquentation de plus en plus importante de jeunes très formés dont des ingénieurs agronomes, qui sont déjà bien renseignés et convaincus avant de suivre nos formations. Ils recherchent une vie professionnelle moins virtuelle et plus proche du réel de la nature. Aujourd'hui devenir paysan devient accessible à tous grace au concept MicroFerme mis au point avec notre partenaire la Ferme du BecHellouin. 

 

Vous pensez donc que le modèle des petites fermes plus ou moins autonomes est généralisable ?

Non seulement il l’est, mais c’est aussi la seule issue ! Avec des nuances bien sûr, car contrairement au modèle actuel et à ses monocultures, on ne peut pas imposer partout un modèle figé de microferme, mais plutôt une adaptation de celui-ci à des contextes et des territoires différents.

 

Vous devez donc avoir une position bien tranchée à propos de la crise agricole qui secoue la France et l’Europe en ce moment...

Le système des subventions est une aberration, car il implique une absurde orientation de l’activité agricole vers ces subventions, uniques objectifs des exploitants. Résultat en France : 15% d’agriculteurs touchent 80% des subventions. Quelle injustice pour les vrais paysans ! Et même les agriculteurs qui les reçoivent sont piégés par ce modèle ruineux, engagés dans un système qui ne valorise que les artifices de l’industrie lourde. Les voilà qui marchent vers Bruxelles avec les tracteurs qu’ils n’ont pas pu payer. Nous, on voudrait la vérité des prix !

A présent, le nombre de citoyens qui se rendent compte de ces aberrations grandit, notamment parce qu’ils prennent connaissance des liens entre agriculture, alimentation et santé. Je le vois tout simplement à travers les nombreuses sollicitations dont je fais l’objet dans la presse. Avec le projet Graines de Vie en effet, on a levé un nouveau lièvre en plus de l’érosion génétique : celui de l’érosion nutritionnelle. Aujourd’hui, il faut vingt pèches pour égaler les nutriments présents dans une pèche de 1950. Ce concept d’ « aliments creux » attise la prise de conscience.

 

Vous êtes donc positifs sur l‘avenir ?

Nous avons tendance à nous affliger du gâchis du monde actuel, mais on oublie d’observer tout ce qu’il se passe de bon en parallèle, toutes ces initiatives innovantes, tous ces réseaux d’entraide... « Que le fracas de l’arbre qui s’effondre ne fasse pas oublier le murmure de la forêt qui pousse » !

Je vais même terminer par une autre jolie métaphore, celle des cellules imaginales. J’ai été un temps intrigué par le processus de métamorphose de la chenille en papillon, et suite à quelques recherches, j’ai compris que ce mécanisme repose sur des cellules qui apparaissent dès le développement de la chenille, mais qui ne s’activent que dans la chrysalide, quand la chenille s’apprête à disparaître. A ce moment-là, ces cellules imaginales, bien que naturelles, sont perçues comme des corps étrangers par le système immunitaire de la chenille, qui les combat et en achève quelques pionnières. Mais elles persistent à s’activer pour donner le schéma du futur papillon.

Avec cette image, je me dis que, peut-être, l’humanité n’est pas une espèce en voie de disparition mais en voie d’apparition. Ne sommes-nous pas tous les cellules imaginales du système agricole ?

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